Il était une fois… Les Bruitamarres

Il était une fois, un monde…
Ce monde ressemblait beaucoup au monde que l'on connaît tous. Il y avait une Terre, sur cette Terre, il y avait des montagnes et des rivières, des arbres et des fleurs, des villes et aussi des gens.
Ces gens parlaient un drôle de langage, fait de gestes et de sons, de gestes brusques et désordonnés et de sons sonnants et trébuchants provenant de petites pièces en métal contenues dans des sacs.
Ces gens avaient aussi des coutumes curieuses ; il semblait que plus ils s'agitaient, plus ils faisaient sonner leurs jouets métalliques et plus ils étaient estimés de leur congénères.


Buitamarre Chacun donc se démenait pour faire plus de bruit que son voisin, pour que l'écho de son tintamarre s'entendisse et s'étendisse autant que sa renommée.
Cela aurait pu être ainsi et c'est tout mais cela n'est pas tout car un problème advint.
C'est que, pour faire autant de bruit,
ces gens devaient traîner avec eux de plus en plus gros sacs à sous… qui étaient très lourds.
À force, ces courbettes et courbatures rendaient les gens…
…Oui, à force de se plier en deux pour soulever ces boulets dorés, les entournures se grippaient, les jointures se durcissaient… le tout donnant une tournure fourbue, un aspect bossu et grincheux à tous ces Bruitamarres finalement drôlement mal embouchés.

Remarquez, ça se comprend ! Oeuvrer toute sa vie durant pour quelque chose qui finalement vous abime et vous déçoit, non seulement c'est dur à avaler mais ça rend aigri et même parfois… méchant.
Alors les Bruitamarres abimés et méchants s'éteignaient dans la solitude, l'abandon et l'incompréhension, tout abrutis d'inutiles égarements.

Puis un jour, on ne sait comment ni pourquoi, par une nuit éclairée de lunes, un des Bruitamarres comprit quelque chose.
Attention ! C'est une révolution !
Il compris que leurs vieillesses étaient assombries à cause des pesantes courbettes.

La plupart, bien sûr, ne voulurent surtout, surtout rien entendre. Mais, tout occupés qu'ils étaient à bruitamarrer, ils ne pouvaient se boucher les oreilles…
Remarquez, les réfractaires aux idées neuves, ceux qui empêchent les autres d'évoluer en rond, ceux-là ont aussi leur raison d'être… On ne passe pas, comme ça, brutalement, du Yin au Yang, de l'hivers à l'été, de la nuit, au jour…, non, dans la nature, ces choses-là ne se font pas.

Alors, pour le plaisir de l'espoir ou l'espoir du plaisir, ce Bruitamarre qui a compris quelque chose a fait germer une graine d'évolution mais…
Vous le saviez, vous, que faire pousser une graine d'évolution n'est pas un plaisir facile ?
Cette espèce de graines est si fragile, si exposée, si sensible, que de tout son corps et de toutes ses forces, il faut la protéger. C'est que, c'est difficile d'être un Bruitamarre qui a compris quelque chose !

Heureusement, à cause que les autres Bruitamarres n'avaient pas boucher leurs oreilles, ils entendirent qu'une graine d'une espère nouvelle était en train de germer quelque part et, de curiosité en bruits qui courent, une vraie question se mit elle aussi à germer dans leur tête : « Si plus de courbettes sonnantes et trébuchantes, alors comment se faire entendre ? »

…En inventant la brouette puis… le courblAVAGE… ! ! ! ! !
Ces deux idées, révolutionnaires sur cette Terre, firent beaucoup de bruit et en tentèrent plus d'un…
Plus le prestige grandissait pour certains, plus l'humiliation et la pauvreté s'abattaient sur les autres.

Ces opprimés, ces Deux-Fois-Courbés, toujours plus nombreux et disloqués, avaient la tête au niveau des pieds, tordue pour voir le ciel, seul échappatoire à leur misère. Et justement, c'est du ciel que leur vint la solution. Il prédit qu'ils inventeraient un nouveau langage et qu'ils sortiraient de leur détresse.

C'est ainsi que, en même temps qu'ils bruitamarraient pour les autres, les Deux-Fois-Courbés se mirent à réfléchir tous ensemble.
Cette réflexion étaient si intense, si absolue, si ultime qu'elle commença à se faire entendre, d'abords comme un bourdonnement puis un cri jaillit soudain de la gorge de l'un deux : le cri libérateur du Bruitamarre Deux-fois-courbé Découvreur du Nouveau Langage.
Très vite, au cri ont succédé des sons, les sons se sont assemblés en mots… Les mots étant le reflet des pensées, les pensées se sont mieux organisées, ils avaient inventé LA PAROLE.

Ils se mirent alors à parler des choses de la vie, de leurs émotions, de leurs sentiments, de la beauté des fleurs ou de l'arc en ciel.
Ils se mirent à échanger des semis-mots, à faire pousser des graines de rires, à les arroser de leurs larmes et même à récolter des chansons que, tous ensemble, ils chantèrent à l'unisson.
Subitement affranchis par ces chants libérateurs, tous et tous ensemble en même temps, ils lâchèrent simplement les sacs à sous et, de grâce et d'aise, se mirent à sourire.

Montgolfiere.png Les Prestigieux, les Courblavagistes, furent d'abord interloqués par ce « dépôt des Sacs ».
Ils cherchèrent à raisonner les courblavés, par la persuasion, la manipulation, même par la force…, ces solutions ayant toujours été efficaces jusqu'alors.
Mais cette fois, les Deux-Fois-Courbés étaient si unifiés, leur cohésion était si entière,
si inébranlable que les courblavagistes durent abdiquer.
Plus jamais ils n'useraient les autres pour leur seul profit.

Mais comment faire maintenant, ils en avaient trop ; il leur était impossible de tout porter
par eux-même… Ils possédaient tant que même les brouettes devenaient inutiles.
Tout progressivement et librement, ils se mirent, les uns après les autres, à abandonner là leur fardeau.
Tout progressivement et librement, pour ne pas rester seuls, ils se mirent à apprendre cette chose, cette parole dont se régalaient les autres et qui semblait tant les réjouir…
Tout progressivement et librement, leur rancune devint du soulagement, de la compréhension puis de la reconnaissance pour ces opprimés qui avaient sauvé leur coeur de la ruine…

Ainsi et enfin, le peuple des Bruitamarres était réunifié.
De la toile des sacs à sous, ils firent des montgolfières et en les regardant s'envoler, ils apprirent à se redresser, à se tenir debout comme de vrais êtres humains et à se regarder dans les yeux.
Les pièces sonnantes et trébuchantes ?
Ils les firent fondre et le métal devint des cloches qui sonnèrent et résonnent encore mais cette fois, pour célébrer la GRANDE TRANSFORMATION : les Bruitamarres devenaient les Parltauxcoeurs.

Dans chaque maison se dresse désormais une statut de leur ancêtre Bruitamarre, courbé, la bouche tordue et le dos perclus ; une inscription figure sur une plaque dorée :

L'EXCÈS DE RICHESSES DURCIT LES ARTICULATIONS ET ALOURDIT LE COEUR.
IL PROVOQUE L'INSATISFACTION, LA FRUSTRATION ET L'ENVIE.
CES DÉSÉQUILIBRES EMPOISONNENT LE CORPS ET L'ESPRIT ET CONDUISENT A LA DECREPITUDE.


Une fois l'an, toutes les cloches sonnent ensemble pour célébrer la GRANDE TRANSFORMATION.
Les Parltauxcoeurs en profitent pour tous sortir de chez eux et partager un grand pique-nique national où le but du jeu est de parler au plus de monde possible et surtout à ceux que l'on ne connaît pas.
Ce jour-là, on célèbre son voisin ; on échange et on cultive les idées nouvelles, non pas comme des révolutions, violentes et amères, mais comme des levers de soleil, roses et parfumés, promesses de grands bonheurs…

FIN

* Histoire de Saline, extraite du recueil VOL D'HIRONDELLES
Plume

Je vous souhaite de vous réaliser,